I
Une chanson se termine. Le public applaudit.
Le chanteur s’approche du pianiste.
LE CHANTEUR. Dites-moi…
LE PIANISTE. Oui ?
LE CHANTEUR. J’aimerais autant que vous ne parliez pas.
LE PIANISTE. Moi ?
LE CHANTEUR. Oui vous, comme à l’instant, là… “moi, moi, moi”, que vous ne m’adressiez pas la parole entre les chansons… le piano, la musique, ça, tout ce que vous voudrez, mais faire le malin entre les chansons, non… Attention, je dis ça pour vous… je dis ça pour que le public vous aime, que le public se dise, ce type est formidable… qu’il n’y ait pas que moi de sympathique sur scène, vous comprenez ?
LE PIANISTE. Parce que quand je…
LE CHANTEUR. Vous voyez, ça coupe tout de suite l’ambiance… ce n’est pas de votre faute, vous n’êtes pas doué pour parler… ça arrive, ce n’est pas la fin du monde, mais dans ce cas-là, il faut éviter de le montrer… surtout pendant le récital d’un chanteur… d’un bon chanteur de surcroît… vous êtes d’accord ?… Je sais bien que vous êtes d’accord parce que vous êtes intelligent… ça se voit dans vos yeux… vous avez un très bon regard… profitez-en, regardez les gens… donnez-leur ce qu’il y a de mieux en vous au lieu de faire le paon avec des mots… parce que sinon, vous savez ce qui va arriver si vous continuez à blablater comme ça ?
LE PIANISTE. Non ?
LE CHANTEUR. Vous allez finir par dire un poème.
LE PIANISTE. Un poème de qui ?
LE CHANTEUR. De vous !… Bien sûr de vous !… C’est ça qui m’inquiète… la poésie ce n’est pas très compliqué, vous savez… même vous… avec votre côté artiste, il n’est pas impossible qu’un jour ou l’autre vous fassiez des rimes, si, si, des rimes… c’est vite arrivé ce genre de trucs… et quand on fait un poème et qu’on est assis derrière un piano, en général, qu’est-ce qui se passe ?
LE PIANISTE. Je ne sais pas.
LE CHANTEUR. Ne soyez pas hypocrite…
LE PIANISTE. Non, je vous assure.
LE CHANTEUR. On fait une chanson ! Alors je vous le demande : vous voulez chanter à ma place, c’est ça ? Toute votre petite manipulation depuis dix minutes, c’était pour en arriver là !!?
LE PIANISTE. Mais pas du tout, je vous jure…
LE CHANTEUR. Ne jurez pas ! Surtout ne jurez pas… Dans chaque homme il y a un monstre caché.
LE PIANISTE. Je ne savais pas.
LE CHANTEUR. Mais lui il le sait, le monstre… regardez Landru comme il avait l’air gentil, il avait de bons yeux comme vous, et vous avez vu le résultat !
LE PIANISTE. Monsieur Picasso aussi il avait de bons yeux, et il n’a tué personne. C’est pour ça, vous ne craignez rien avec moi…
LE CHANTEUR. Picasso à la différence de vous il ne parlait pas, il peignait.
LE PIANISTE. Juste… vous aimeriez que je peigne entre les chansons ?
LE CHANTEUR. Que vous ?
LE PIANISTE. Que je peigne entre les chansons ?
LE CHANTEUR. Pourquoi pas… si vous vous taisez en étalant vos couleurs… Pourquoi pas… je vais y réfléchir… On reprend !
Le pianiste joue le premier accord de la chanson suivante, tandis que le chanteur se dirige vers son micro.
II
Le chanteur termine une chanson.
Dès la fin des applaudissements, le pianiste lui fait un petit signe.
LE PIANISTE. Excusez-moi…
LE CHANTEUR. Quoi encore !
LE PIANISTE. Je pense que vous avez fait une erreur toute à l’heure.
LE CHANTEUR. Une erreur ?
LE PIANISTE. Disons une erreur d’appréciation.
LE CHANTEUR. Moi ?
LE PIANISTE. Oui, vous avez dit que je n’étais pas doué pour parler… je ne pense pas que ce soit exact… je ne dis pas que je suis un virtuose du verbe, mais j’arrive très correctement à m’exprimer, on me comprend bien… là par exemple, vous me saisissez sans difficulté… ?
LE CHANTEUR. Alors c’est quoi ?
LE PIANISTE. Le problème n’est pas que je ne suis pas doué pour parler, le problème est que je n’ai rien à dire.
LE CHANTEUR. Et vous trouvez intéressant de m’interrompre pour me dire ça ?
LE PIANISTE. Non, justement, c’est ce que je suis en train de vous dire.
LE CHANTEUR. Alors pourquoi vous le dites ?
LE PIANISTE. Parce que vous aviez fait une erreur d’appréciation tout à l’heure et que je n’avais pas envie que les gens pensent que vous êtes un chanteur approximatif, avec un jugement pas très sûr…
LE CHANTEUR. Je vous remercie.
LE PIANISTE. Moi aussi vous savez, je veux que les gens vous aiment. On doit être aimé tous les deux.
LE CHANTEUR. On reprend.
Le pianiste plaque les premières notes de la chanson suivante, tandis qu’une poursuite saisit le visage du chanteur.
III
Le chanteur enlève sa veste et la tend au pianiste. Le pianiste quitte son piano, prend la veste du chanteur et va la porter en coulisses.
LE CHANTEUR. Ah, je vous supplie de ne pas la mettre…
LE PIANISTE. Vous ne craignez rien avec moi. Je suis comme monsieur Picasso, il ne portait jamais les vêtements des autres.
LE CHANTEUR. Ah, Picasso ne portait pas les… ?
LE PIANISTE. Jamais. Il avait trop peur de les tacher avec sa peinture.
LE CHANTEUR. Et de payer la note du teinturier.
LE PIANISTE. Peu de gens le savent mais monsieur Picasso s’est ruiné en notes de teinturier.
LE CHANTEUR. Il a dû éclabousser des milliers de gens dans son atelier.
LE PIANISTE. Forcément c’est une peinture très gestuelle…
LE CHANTEUR. La vie des grands artistes n’est pas toujours rose…
LE PIANISTE. J’en sais quelque chose !
LE CHANTEUR. Vous n’allez quand même pas vous comparer à Picasso ? Vous n’avez jamais été ruiné par des notes de teinturier que je sache !
LE PIANISTE. Non.
LE CHANTEUR. Vous êtes un homme heureux, vous êtes le pianiste d’un chanteur qui monte.
Le pianiste installe l’échelle.
LE PIANISTE. Vous voulez que je peigne entre les chansons ?
LE CHANTEUR. Que vous ?
LE PIANISTE. Que je peigne ?
Il fait le geste de peindre le plafond.
LE CHANTEUR. Non merci. On reprend.
IV
Le chanteur termine me longue chanson rythmée qui a fait battre les mains du public.
Il est en sueur.
Il salue, s’essuie le front et s’approche du pianiste à côté duquel deux trois bouteilles et des verres reposent sur une petite table.
LE CHANTEUR. Vous permettez ?
LE PIANISTE. Je n’aime autant pas.
LE CHANTEUR. Vous n’aimez autant pas quoi ?
LE PIANISTE. Vous donner mon eau.
LE CHANTEUR. Pourquoi ?
LE PIANISTE. Elle est bénite.
LE CHANTEUR. Vous buvez de l’eau bénite !!?
LE PIANISTE. Attention, quand je joue uniquement… jamais dans la journée… par exemple, je ne bois pas d’eau bénite avec ma femme en mangeant.
LE CHANTEUR. Mais pourquoi en concert ? Ça vous… ça vous donne un coup de fouet l’eau bénite ?
LE PIANISTE. Non.
LE CHANTEUR. Ça vous soigne ?
LE PIANISTE. Non.
LE CHANTEUR. Alors ça vous fait quoi ?
LE PIANISTE. Ça me lave la tête… quand j’en bois je me dis : “C’est complètement dingue, je suis en train de boire de l’eau bénite sur scène !”… et je ne pense pas à autre chose… vous voyez ?
LE CHANTEUR. Pas bien, mais après tout, c’est votre affaire… Alors passez-moi votre coca.
LE PIANISTE. Il est bénit aussi.
LE CHANTEUR. Votre coca, il est… ???
LE PIANISTE. Ah oui, tant que j’y suis le matin je fais tout bénir… vous savez, il y a de moins en moins de prêtres de nos jours, alors quand on arrive à en attraper un… mais il y a un robinet dans les coulisses si vous voulez…
LE CHANTEUR. Je n’ai plus soif ! On reprend !
Les premières notes de la chanson suivante résonnent.
V
Le chanteur s’apprête à commencer une chanson lorsqu’il quitte son micro et rejoint le pianiste.
LE CHANTEUR. Excusez-moi, vous êtes trop dans l’ombre, on ne vous voit pas.
LE PIANISTE. Ah !
LE CHANTEUR. C’est bien d’être discret, mais pas trop quand même… ça finit par se voir… je connais la combine, vous savez, pour éliminer l’autre, rien ne vaut l’excès d’humilité… Tous les gens se disent, le pauvre, on ne le voit pas… le chanteur charrie !
LE PIANISTE. Ah bon ?
LE CHANTEUR. Aidez-moi mon vieux, prenez un peu plus de lumière… vous savez, ce n’est pas facile pour moi non plus d’être obligé d’avoir un pianiste à côté de moi pendant que je chante.
LE PIANISTE. Pourquoi vous ne mettez pas une bande son ?
LE CHANTEUR. C’est pire ! Les gens pensent : le chanteur est jaloux, il veut être seul en scène, c’est un salaud… ! C’est pour ça que vous êtes là, c’est pour que je n’aie pas l’air d’un salaud, sinon croyez-moi…
Le pianiste se met dans la lumière.
LE PIANISTE. Comme ça… ça va ?
LE CHANTEUR. Non. Il ne faut pas exagérer. Là, les gens vont penser que je suis trop généreux. Ils vont me prendre pour un chanteur de l’Armée du salut.
LE PIANISTE. Ah ?
LE CHANTEUR. Ces types qui chantent pour aider les pauvres.
LE PIANISTE. Mais je ne suis pas pauvre.
LE CHANTEUR. Vous n’êtes pas très riche, reconnaissez-le. ..
LE PIANISTE. Alors où ?
LE CHANTEUR. Bon, restez là… mais alors tournez la tête vers le fond… plus, plus, encore… aidez-vous du tabouret… comme ça, voilà… On reprend…
Le pianiste, dos tourné au public, plaque le premier accord de la chanson suivante.
VI
Applaudissements.
Le chanteur salue.
Au lieu d’entamer une nouvelle chanson, il sort en coulisses et revient sur scène avec un pliant et un panier en osier. Il s’assied tranquillement sur le pliant, sort une serviette du panier qu’il place sur ses genoux, il sort du fromage et le mange… Après un instant, il parle.
LE CHANTEUR. … Moi je suis pour la transparence… Tout le monde sait que les chanteurs mangent du fromage pendant leur récital… c’est un secret de polichinelle… Alors à quoi ça sert d’aller se cacher en coulisses pour avaler un morceau de brie de Meaux entre deux chansons… non, moi, j’assume… je le fais devant le public… le public qui comprend parfaitement qu’après un certain nombre de chansons, on a besoin de calcium pour tenir le coup… Un tour de chant c’est comme le Tour de France, ça nécessite de la substance… ça n’est pas un mystère… Claude François, lui, c’était le livarot, Brassens le cantal, Jacques Brel le gouda… Jacques, le pauvre, était terrorisé à l’idée que ça se sache, alors à chaque fois qu’il croquait dans le gouda que lui tenait son manager en coulisses, il se lavait les dents… Vous imaginez l’organisation… d’autant qu’il en avait des dents Jacques Brel !… Léo Ferré, lui, ne pouvait pas chanter Avec le temps sans avoir sa dose de Babybel. Il lui en fallait au moins deux portions. Il les cachait dans l’instrument d’un de ses musiciens, en général la contrebasse… écoutez bien ses disques, vous verrez, de temps en temps, la contrebasse a un coup de mou, c’est une corde qui touche un Babybel… quant au grand Serge Gainsbourg, c’était le gruyère, à cause des trous, ça faisait gobelet pour le whisky… moi je prends à peu près cinquante grammes de brie de Meaux par concert, avec un peu de pain… je n’ai pas changé depuis mes débuts… quand un fromage vous va, il faut le garder, ne jamais prendre de risques comme dit mon ingénieur du son… Johnny par exemple, il a toujours marché à la Vache qui rit jusqu’à “Qu’est-ce qu’elle a ma gueule” et puis du jour au lendemain, il s’est mis au bleu d’Auvergne… Franchement, je ne suis pas sûr qu’il ait eu raison… toute la période Vache qui rit était quand même bien meilleure musicalement… Bon, une dernière lichette et puis on va y retourner…
LE PIANISTE. Je peux en avoir un bout ?
LE CHANTEUR. Je vous ai déjà dit non… ça vous graisse les doigts et après vous allez glisser sur les noires…
LE PIANISTE. Vous n’avez pas de parmesan ? C’est sec le parmesan.
LE CHANTEUR. Du parmesan ? Jamais ! C’est trop cher, c’est ce que prend Pavarotti… Ben, vous avez de l’eau bénite ? Restez à l’eau bénite ! Allez on reprend.
LE PIANISTE. Oui… pardon…
LE CHANTEUR. Croyez-moi, restez à l’eau bénite… allez, on reprend !
Il range sa serviette dans le panier en osier, pousse son pliant sur le côté et se dirige vers le micro.
VII
Entre deux chansons, le chanteur s’adresse au public. Il semble vouloir faire une confidence.
LE CHANTEUR. J’aimerais… (il cherche)… j’aimerais… oui, j’aimerais m’adresser à vous avec des mots… comment dire… des mots simples… des mots, et surtout avec des phrases toutes simples faites de mots directs, pas compliqués, comme “fleur” ou “ciel” ou “arbre”. Le problème, c’est que c’est difficile de parler d’arbre sans parler de feuilles, de racines, d’écorce, de tronc, de sève, de branches… Bref, ça devient vite compliqué, pareil pour “fleur”, “ciel” ou “bateau”, si je vous dis “bateau” sans ajouter “mer”, “soleil”, “pêche”, etc., à quoi ça sert ? Et si j’ajoute “soleil” à “bateau”, il faut que j’ajoute “lune”, “planète”, “univers”, “cosmos”… et dès que j’aurai prononcé le mot “cosmos” et ainsi de suite, les mots simples sont trop compliqués. Le seul mot qui n’est pas compliqué, c’est “compliqué”. Quand on dit “compliqué”, on sait que c’est “compliqué”, c’est tout simple. Donc je vais chanter une chanson compliquée.
LE PIANISTE. Pas trop quand même.
LE CHANTEUR. Non, pas trop. On reprend.
VIII
Après deux ou trois brefs saluts accompagnés de son célèbre sourire modeste, le chanteur s’approche du pianiste.
LE CHANTEUR. Vous voulez bien me donner vos chaussures ?
LE PIANISTE. Mes chaussures ???
LE CHANTEUR. S’il vous plaît.
Le pianiste montre ses pieds.
LE PIANISTE. Celles-là ?
LE CHANTEUR. Oui.
LE PIANISTE. Mais…
LE CHANTEUR. Vous n’en avez pas besoin…
LE PIANISTE. Mais ce sont mes chaussures.
LE CHANTEUR. Je veux dire un besoin vital. La chaussure n’est pas l’élément essentiel chez le pianiste. Un pianiste peut très bien jouer du piano sans chaussures… je ne vous demande pas vos mains, là vos mains je comprendrais, un pianiste sans mains éprouve plus de difficultés avec son piano qu’un pianiste avec mains… quoique, j’ai connu un alpiniste qui avait eu les deux mains gelées en gravissant l’Himalaya eh bien il se débrouillait pas mal… au tambour, mais le tambour ne vous intéresse pas ?
LE PIANISTE. Non. Pourquoi vous me demandez ça ?
LE CHANTEUR. Si vous vous intéressez au tambour ?
LE PIANISTE. Non, de vous donner mes chaussures.
LE CHANTEUR. Est-ce que je pose des questions moi ? Est-ce que je vous demande combien vous avez d’enfants, si votre femme travaille, si vous avez eu des maladies graves ?
LE PIANISTE. J’ai eu une hernie inguinale…
LE CHANTEUR. Moi aussi.
LE PIANISTE. Ce n’est pas très grave.
LE CHANTEUR. Non.
LE PIANISTE. Vous chaussez du combien ?
LE CHANTEUR. C’est une manie cette façon que vous avez de poser des questions sans arrêt ? Vous savez, en général, un pianiste qui accompagne un chanteur de talent ne fait jamais tant d’histoires quand le chanteur de talent lui demande ses chaussures. Vous êtes spécial mon vieux. Très spécial.
LE PIANISTE. Et moi je vais rester pieds nus ?
LE CHANTEUR. Pieds nus ! Tout de suite la fin du monde ! Vous avez des chaussettes de bonne qualité il me semble. Je ne vais pas pleurer.
LE PIANISTE. Vous voulez que je vous les donne sans protester, c’est ça ?
LE CHANTEUR. Oui.
Le pianiste ôte ses mocassins. Le chanteur quitte les siens et enfile aussitôt ceux du pianiste.
LE PIANISTE. Vous les mettez ?
LE CHANTEUR. Qu’est-ce que vous croyiez ? Que j’allais les manger ?
Le pianiste ne parvient pas à glisser son pied dans les chaussures du chanteur.
LE PIANISTE. Elles sont trop petites pour moi.
LE CHANTEUR. Mes chaussures ?
LE PIANISTE. Oui, pas du tout ma taille.
LE CHANTEUR (piqué). Bien sûr, vous vous êtes un grand, immense, et moi je suis un nain, c’est ça ? Vous vous êtes un pianiste géant et moi un chanteur minuscule, c’est ce que vous voulez me dire ?
LE PIANISTE. Non, simplement que…
LE CHANTEUR. Reprenez-les… reprenez vos grandes chaussures !
LE PIANISTE. Mais…
LE CHANTEUR. Restons comme avant, vous un pianiste avec de grandes godasses qu’il ne prête à personne et moi avec mes petites chaussures mais qui continuerai à me battre pour l’égalité entre les hommes, pour dire que bien que ce soit moi la vedette, je peux porter les chaussures de mon pianiste… On reprend !
IX
Après cette dernière chanson la salle éclate en applaudissements. Le chanteur salue à l’avant-scène, bientôt rejoint par le pianiste. Après quelques salves d’applaudissements le chanteur se penche vers le pianiste :
LE CHANTEUR. Vous voyez comme les gens sont contents quand vous vous taisez… ça fait au moins vingt minutes que vous ne parlez pas, regardez le résultat !… Un vrai succès… vous vous seriez tu depuis le début du spectacle on aurait fait un triomphe… je me demande si je ne devrais pas vous bâillonner… vous coller un gros sparadrap sur la barbe par exemple… je me demande… ne garder que votre bon regard… ou alors une cagoule, peut-être, avec juste vos yeux qui sortent. Puisque demain on est à Chamonix on essaiera avec un passe-montagne pour commencer.
(Le portable du chanteur sonne, il l’ouvre et le colle contre son oreille.) Oui… oui… pardon ? Ah, oui… oui, je vous le passe… c’est pour vous monsieur Wagner, l’évêque de Pau.
LE PIANISTE. Monseigneur La Claveterie ?…
LE CHANTEUR. Il m’a juste dit l’évêque de Pau.
LE PIANISTE. Je crains le pire… (Il attrape le portable du chanteur.) Allo ?… Non, je suis en train de saluer avec monsieur Morel… je comprends… j’imagine… la semaine prochaine peut-être ? Bien… Merci monseigneur. (Il raccroche furieux.) Et merde, ça fait trois fois qu’il me décommande !
LE CHANTEUR. C’est grave ?
LE PIANISTE. Il devait bénir mon whisky demain matin.
LE CHANTEUR. L’évêque de Pau devait… ??!
LE PIANISTE. Bien sûr, à partir de douze ans d’âge il faut un évêque sinon ça ne tient pas. C’est la tuile. Bon. On reprend.
LE CHANTEUR. Ah non, là on arrête, on arrête complètement… (Ils sortent.) C’est vous qui lui avez donné mon numéro à l’évêque de Pau ?
LE PIANISTE. Oui… il a une vraie admiration pour vous… il rêvait de vous parler…